L'art de l'infini

Tout avait pourtant commencé parfaitement normalement.

Nous visitions le musée des Beaux-Arts de Nancy, non loin des ors de la place Stanislas. Dans nos regards défilaient sagement peintures et sculptures. Même les plus modernes d’entre elles occupaient comme de bons enfants l’espace qui leur est habituellement dédié. Nous les contemplions en demeurant nous-mêmes à notre place, fidèles à notre rôle de visiteurs attentifs et calmes. Époques et styles se succédaient aimablement, distillant le confortable sentiment du « bien connu ».  Les quelques surprises, dû au fait qu’il s’agissait d’une première visite de ce musée, ne pouvaient déranger cette douillette réalité. Tout se déroulait dans le plus rassurant des ordres.

Jusqu’à découvrir un étrange pavillon, qui se présentait comme une caisse géante posée au milieu de la salle. Il était écrit sur le cartel Yayoi Kusama, Infinity miror room, Fireflies on Water, 2000 et à côté de cette inscription énigmatique se trouvait une porte. En poussant celle-ci, nous fûment immédiatement projetés dans un espace infini. Une obscurité profonde régnait, percée seulement de multiples lampes/astres/lucioles multicolores. Murs, sol et plafond s’étaient évanouis dans l’illimité. En scrutant cet abyme nous découvrîmes avec stupeur notre propre image démultipliée en tous points de l’espace. Nous nous vîmes, flottants, suspendus aux confins de l’univers, l’esprit agité de multiples questions : Comment mon petit monde bien stable a-t-il pu disparaître aussi vite et si facilement ? Est-ce vrai que rien ne garantit sa pérennité ? Ni celle de mon moi dont la réalité semble aussi peu assurée que celle de ces fantômes qui s’acharnent à mimer chacun de mes gestes ? 

 

 

Arrivé là, il me sembla qu’il fallait choisir entre une angoisse profonde ou une joyeuse acceptation. Soit considérer toute cette expérience comme une irrémédiable plongée dans un gouffre avalant repères et identités. Ou bien l’appréhender comme le rappel - spectaculaire il est vrai - de ce qui ne cesse d’arriver. Chaque nuit, nous rêvons et basculons dans un autre univers ou bien nous sommes en sommeil profond et il n’y a plus ni moi ni monde. En méditation, hypnose ou rêve éveillé nous expérimentons d’autres réalités. Ce qui se produit aussi si nous sommes sous le coup d’émotions violentes, confrontés à la beauté, ou à la surprise. Tous ces moments mettent en suspens nos habitudes et alors notre monde et notre moi bien stables sont un peu ou beaucoup secoués…

Mais ce qui se produit alors est-il moins réel que ce que nous appelons communément « réalité » ?  Qui a dit que notre vie devait se réduire à nos idées habituelles sur celle-ci ? Qu’est-ce qui se passerait si on prêtait attention à ces brèches dans notre routine ?

En réfléchissant à cette expérience je me souviens que le moment le plus intéressant a, probablement été de sortir de l’installation pour retrouver le monde « normal » tout en me demandant s’il n’était pas, lui aussi, une forme extravagante d’art contemporain.

Commentaires